Renée Charlotte SOUTHWICK, épouse BORGE
(1918)
Dans ses souvenirs, ma grand-mère (née en 1918) reste assez évasive sur son enfance et son adolescence. Je vais raconter ici quelques anecdotes qui m'ont été racontées à son sujet.
Mamé, comme nous l'appelons, à un jour sermonné sa mère qui avait engagé une bonne idiote : celle-ci ne comprenait pas l'anglais !
Mamé refusait d'apprendre à lire. On lui parla alors du livre de la Comtesse de Ségur "Un bon petit diable". Son intérêt éveillé par l'"affreuse Mme Mac'Miche", elle dévora le livre, et apprit à lire très vite.
Lorsqu'elle avait dix ans, ma grand-mère tenait un journal, qui existe toujours dans les archives de la famille, et qui montre bien comment vivait à son époque une enfant de son âge et de son milieu. Elle jouait parfois au mah-jong ou aux dames le soir avec ses parents et sa sœur Elsie, mais vivait principalement avec les bonnes, entre ses leçons de piano, l'écriture de son journal, la promenade quotidienne, les visites au bébé (Janet), l'église le dimanche et parfois plusieurs fois par semaine… Elle écrit souvent qu'elle s'ennuie, et qu'elle ne va pas assez souvent au cinéma à son goût.
Pendant la guerre, alors que sa mère et sa sœur ont été arrêtées par les Allemands, Renée retrouve l'une de ses amies, Devereaux Rochester, qui lui parla d'une filière pour quitter la zone occupée via des ambulancières. Toutes étaient très riches et, après un excellent dîner (grâce au marché noir) dans un grand appartement derrière l'église de la Madeleine, décision est prise de partir.
La troupe s'organise : Devereaux voyageait avec un nécessaire de toilette en or très lourd, tous étaient juifs (l'une d'elles ayant même sur elle un petit livre intitulé "Livre de prières juif en allemand pour demoiselles de bonne maison") sauf ma grand-mère, Devereaux et le chef de l'expédition, marié à une arabe. Des conditions idéales ! Devereaux deviendra plus tard la marraine de ma Tante Christine, et écrira un livre "Full moon to France", dans lequel elle racontera ses aventures.
Lors d'un arrêt dans une petite gare de campagne, il y eut une altercation avec des soldats allemands. Renée et Devereaux se cachèrent derrière la gare, puis elles passèrent toute la journée avec leur groupe dans un bosquet, où l'on devait venir les chercher le soir. Elles eurent la peur de leur vie, en fin de journée, quand une descente d'Allemands eut lieu, heureusement sans qu'on les trouve. Les passeurs arrivèrent enfin, et ne voulurent emmener qu'elles deux. Elles refusèrent, et ils finirent par prendre tout le monde. S'étaient rajoutés au groupe un couple de juifs très élégant, une Hollandaise petite et grosse qui ne voyageait qu'en talons aiguilles, une Romaine, et deux Russes surnommées Zig et Puce.
Finalement, le train arriva à Lyon, où Renée rencontra son futur mari.
Jean et Renée Borgé le jour de leur mariage
Voici une lettre écrite par la grand-tante Marguerite Tapissier (1868-1964), de Lyon, racontant le mariage de mes grands-parents.
19 janvier 1943
Ma chère Andrée,
Je vais vous raconter avec autant de détails possibles le mariage de Renée.
D'abord, elle s'est mariée le jeudi 14. La veille au soir, Félicienne a tenu à mettre le couvert, une grande table, 18 personnes. Vous connaissez la salle à manger : la table était en biais. Une très belle nappe en tulle brodé bis, son service magnifique et 4 verres dont un pour le vin du Rhin. Robert et Félicienne ont dit. Nous ferons comme si c'était le mariage de notre fille, et surtout nous sommes heureux de pouvoir rendre à Lilly et Albert ce qu'ils ont fait pour Gabriel. Le matin du mariage, Robert ayant retenu un car, a envoyé chercher la famille du marié, et ils sont arrivés à 9 heures et demie.
Toute la maison était garnie de fleurs très, très belles et la chambre de Renée aussi, des oeillets blancs, des lilas et des tulipes. Il y en avait pour 3 000 francs, je vous dis cela entre nous.
Quand toutes les présentations ont été faites, Renée est descendue. Elle était si émue que j'ai cru qu'elle n'arriverait pas jusqu'à nous. Félicienne avait présidé à sa toilette. Elle avait un très joli tailleur brun qui lui allait très bien, elle est si mince, et un très joli turban blanc, avec une voilette très légère.
Nous sommes tous montés dans le car et en route pour la mairie. Là, vous savez comme c'est bête et froid ; et de là à l'église. Ils se sont mariés à la sacristie, Renée suivant sa religion n'ayant pas droit à l'église. Monsieur le curé leur a fait un très joli petit sermon dans lequel il a dit "Pour vous monsieur, le mariage est un sacrement, et pour mademoiselle, un contrat" !
Après la messe, il y a eu des prises de photos, j'espère bien que vous aurez l'occasion de les voir. Puis, de retour à la maison, la mariée, toujours très émue, est montée avec Félicienne changer de toilette, et elle tremblait tellement que Félicienne a été obligée de lui quitter ses gants.
Cette pauvre petite Renée n'avait personne de sa famille. Elle en a beaucoup souffert, et je comprends très bien, sûrement vous aussi. Mais Félicienne s'est instituée "la belle-mère" et elle n'a rien épargné comme gentillesses pour sa "belle-fille".
Dans la bibliothèque, on a commencé à prendre le porto, à faire tout à fait connaissance, à causer, conversations très animées, chacun faisait ce qu'il pouvait pour enlever la gêne, puis la mariée est descendue tout en blanc. Elle avait une robe de Félicienne très jolie, et Félicienne a regretté de ne pas l'avoir fait faire longue si elle avait su qu'"elle devait la prêter à Renée pour une telle occasion. Tout le corsage était en nid d'abeille avec une ceinture en moire blanche jusqu'en bas de la robe. Tout le monde a crié, quand elle est arrivée, qu'elle était ravissante. Quant à Jean, il était ravi, gai, et ne la quittait pas des yeux.
A midi, on s'est mis à table. Le dîner a été très animé, très gai. Tous les invités avaient très, très bon appétit. Dans ce moment, c'est reçu. On a mangé : jambon cru, jambon cuit et saucisson, 5 poulets à la crème délicieux, une jardinière de légumes (carottes, pommes de terre, petits pois et champignons), deux dindonnes magnifiques. Pour le dessert, une glace à la vanille et au chocolat, des fruits et des gâteaux. Comme vins : un blanc, vin d'Arbois, du Rhin et du champagne.
Toute la table était gaie, et c'était très joli de voir rire tout le monde. Moi, bien entendu, je n'ai rien entendu, mais j'ai ouvert les yeux, et j'ai bien vu que tout le monde était content, la table était jolie. Il y avait 3 superbes corbeilles d'oeillets blancs.
On a passé au salon et pris le café. N'ayant pas pris de vin, je me suis rattrapée sur le café. Mme Borgé, la grand-mère, en a fait autant, et toute la société a pris des liqueurs et tout le monde a fumé. Poucet, jeune homme, a droit aux cigarettes, et Pacou, pour cette circonstance, a fait comme tout le monde. Au champagne, Pierre a fait un très joli discours que je vous envois, et Renée était toute pâle en l'écoutant.
Puis les mariés sont partis à trois heures, Robert les a accompagnés à Lyon. Ils sont allés dans l'Ardèche, d'où ils ont téléphoné qu'ils étaient très bien à l'hôtel comme nourriture et chauffage.
Il y a un moment, ils ont téléphoné qu'ils sont de retour, et ils reviendront déjeuner jeudi. Jean ne repart que la semaine prochaine.
Cette journée a été très, très bien, aussi bien qu'elle pouvait l'être pour Renée. Pour Robert et Félicienne, je peux dire, habitant au Méridien, qu'ils ont fait l'impossible, car, 4 fois on a annoncé l'arrivée du fiancé, et chaque fois il a fallu commander et décommander.
Comme invités, il y avait : M. et Mme Constant Borgé, l'oncle veuf (Jean) et ses deux fils, Jacques et Guy, la tante Hélène, fille de la grand-mère (pas mariée), un ami de Jean, Jacques Fléchet et tous les Perrier de Tassin. Fadette aussi, mais pas Jean-François, qui a trouvé que les gens étaient très malhonnêtes de ne pas l'avoir invité.
Si vous le jugez à propos, donnez cette lettre à ma soeur Jeanne, et si vous pouvez la passer à Lilly, cela la distraira un peu, mais il me semble que c'est bien difficile.
Discours de Pierre Perrier, pour le mariage de Renée
au Méridien, le 14 janvier 1943
Enfin, vous voici, cher monsieur, tel un légendaire chevalier en quête d'une très gracieuse récompense. Ce sont, assurément, vos mérites personnels, c'est votre foi persévérante, c'est l'ardeur de vos sentiments que couronne aujourd'hui l'heureux destin qui, un jour, conduisit votre fiancée par la main jusque dans cette maison où une généreuse hospitalité est de tradition. Ici, c'est vrai, on a veillé sur votre bonheur, et celui-ci s'accomplit pleinement aujourd'hui. J'ai conscience, d'ailleurs, que ce bonheur n'est pas d'espèce courante, que des circonstances particulières en affirment la substance, en rehaussent le ton... en élèvent la qualité.
Il est émouvant, en effet, de penser qu'à travers votre personne, c'est la France qu'a choisie votre fiancée. Et ce choix, monsieur, ce choix crâne et spontané, c'est un précieux joyau dont s'enrichit dès maintenant votre jeune ménage. C'est une empreinte que le temps n'effacera pas.
C'est pourquoi je me dois ; ma chère Renée, d'imaginer quelque hommage, à votre intention. Heureusement, l'imagination permet bien des langages, entre autres celui des fleurs. Pour vous, ce sont des fleurs des champs que je vais choisir, la blanche marguerite de nos prairies, les rouges coquelicots blottis parmi nos grands blés mûrs, et puis des bleuets, de simples et petits bleuets... Alors voici le bouquet.
Daignez, en acceptant ce bouquet champêtre... et imaginaire, formé de ces trois fleurs nées sous le ciel que vous avez choisi, leur reconnaître la triple expression de la grâce, de l'ardeur et du rêve.
Ma grand-mère, Renée, s'installa à Sèvres, près de Paris, avec son mari Jean Borgé et ses deux filles : Noëlle et Christine. Mon grand-père Jean est mort dans son sommeil le 27 juin 1997, et a été enterré à Sèvres.
Ma grand-mère était une intellectuelle pure. Elle fut pendant longtemps traductrice, et écrivit des poèmes qui ne furent jamais publiés, avant de partir à Madagascar, chez sa fille Christine.
Ma Tante Christine épousa un architecte de Tananarive (Madagascar), Henri Ratsimiebo (mort en janvier 2005). Ils s'installèrent à Madagascar pour vivre. Elle eut deux fils : Sendra (29 août 1972), et Fidy (11 novembre 1973), puis deux filles : Bao (9 avril 1975), et Noely (5 janvier 1977). Sendra vit à Madagascar, ainsi que Noely (qui a une petite fille, Anna). Les deux autres vivent en France.
Noëlle a épousé un médecin, Jean-Philippe Coquelin, et eut deux filles : Karine et Natacha.